Soignants, arrêtez de vouloir aider, soyez joyeux !
Parfois en tant que soignant, on se sent investi d’une mission de devoir aider tous ceux qui nous consultent. Mais faut-il uniquement vouloir aider ? Est-ce le moteur le plus épanouissant pour un professionnel de santé ?
Dans ce billet, je vous partage une réflexion personnelle. Elle a mûri au fil du temps et qui me permet aujourd’hui d’être plus sereine dans mes prises en charge.
Les moteurs à vouloir aider en tant que soignant
Parfois, c’est justement une envie initiale de vouloir aider l’autre qui nous a fait devenir soignant.
Dans d’autres cas, la formation et la pratique nous ont amené-e à découvrir que l’on pouvait aider. Ces prises en charge valorisantes nous ont rendus « addict » à vouloir que toutes aboutissent au même résultat. Parfois même, jusqu’à ce que notre positionnement d’aidant devienne notre justification à nous lever le matin.
Or il faut arrêter de vouloir aider !
Aider à tout prix ?
Ce positionnement d’aidant, connoté positivement, renforce l’idée que tout ce que l’on fait se justifie, sous couvert d'altruisme.
On peut en arriver à une perte de remise en question de nos postures et nos pratiques, dans une idée que « c’est forcément bien puisque je suis là pour aider ».
Parfois, on peut ainsi croire que l’on est seul à détenir une/la vérité, que l’on est seul à pouvoir apporter quelque chose à l’autre. On peut se placer en position préalable de sachant, supérieur, neutre, insensible, éclaireur plutôt qu’en position de découvreur, égal, sensible, ouvert.
Aider est pesant ?
Parfois aussi, cette injonction de devoir aider est un poids. En effet elle renferme une mission parfois bien trop large pour nos épaules, car tous les paramètres ne sont pas de notre ressort.
Par exemple, vouloir aider quelqu’un qui ne veut pas l’être peut conduire à l’épuisement, la lassitude, le rejet, voire le burn-out.
J’observe régulièrement un désenchantement des premiers temps chez les générations nouvelles de praticiens. Certains déclarent qu’ils ne sont pas devenus soignants pour ça (sous-entendu ne pas arriver à soigner). Ils veulent faire plus et se reconvertissent. Et si le problème était dans le postulat initial : dans l’objectif visé qui était louable mais dès le départ inatteignable ?
Avec cette conception du devoir ou vouloir aider, comment accepter lorsque que les paramètres psycho-socio-physiologiques ne vont pas dans le sens de l’amélioration ? Comment se sentir à l'aise en tant que soignant quand on veut faire évoluer positivement, mais que les paramètres s'y opposent ?
Aider comme un étendard ?
Enfin, vouloir aider implique parfois une intention de lutte, de militantisme – notre énergie risque de déborder l’autre.
On peut ainsi dégager une énergie démultipliée ou de l’anxiété quand on voit que ça n’avance pas comme on voudrait. Cela peut provoquer le rejet et l’opposition de la part de l’interlocuteur.
Rappelez-vous par exemple peut-être de vos parents qui, en voulant votre bien, vous assénaient qu’il fallait manger des légumes, éviter de sortir avec un ou unetelle, vous conseillaient de plutôt faire comme ci ou comme ça (mais rarement comme vous le souhaitiez)…
Plutôt se faire plaisir
Et si, en tant que soignant, vous cherchiez plutôt la joie.
Aimez ce que vous faites, les gens avec qui vous le faites, les personnes qui viennent vous consulter, les prises en charge plus complexes, etc. Votre joie et vous-même rayonnerez sur les autres et les aiderez !
All love eventually becomes help.
Tout acte d'amour se transforme en aide.
adapté de Paul Tillich, théologien allemand
Par ailleurs, à suivre ses envies, on est toujours plus efficace et pertinent à apprendre et à mettre en pratique.
Ainsi quand l’émotion positive et l’entrain sont présents, les résultats suivent souvent. Notre curiosité et notre créativité ont aussi pour effet secondaire d’aider les autres.
Une dernière réflexion se loge dans le sens que nous mettons derrière "vouloir aider". Doit-on forcément vouloir que les choses avancent positivement ? Ne pourrait-on pas viser à être présent, à être à l'écoute, à accompagner ?
Inspirée du titre de l’ouvrage de Thomas D'Ansembourg, je pense que l’idée se résume à :
Arrêtez de vouloir aider (à tout prix), et faites-vous plutôt plaisir !
Est-ce que cette réflexion sur nos positionnements professionnels vous interpelle ? Voyez-vous les choses différemment ?
N'hésitez pas à partager votre réflexion en commentaire !
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Certains points de cet article vous parlent ou vous touchent ?
N’hésitez pas à partager vos réflexions et vos expériences en commentaire.
C’est si juste, merci beaucoup
Merci Isabelle pour votre retour
Tout à fait d’accord… c’est tout à fait vrai mais on a souvent des difficultés à prendre du recul, se rendre compte de nos fonctionnement… foncer tête baissée pour aider…
Ça fait du bien de lire ça pour une remise en question. Merci Marie
Merci Lucille pour ce partage d’expérience qui résonne !
Très pertinent, n’oublions pas de rester humain, professionnel, sachons déléguer et ayons conscience qu’on ne peut pas sauver tout le monde.
Anne-Marie
Merci Anne-Marie pour le partage de vos valeurs et lignes de conduite !
C’est exactement la même réflexion que j’ai eue aujourd’hui. Merci Marie de l’avoir si bien expliqué !!!
Ma pratique a maintenant évolué depuis le début. Et c’est vrai qu’aujourd’hui j’accompagne le patient vers sa guérison ou tout du moins vers un mieux être. Et depuis que je ne prends plus la responsabilité de vouloir à tout prix guérir l’autre, mes prises en charge sont plus efficaces, je suis moins fatiguée et surtout j’ai un dynamisme et une joie dans ma pratique qui s’en ressent lors des soins
Merci ! Merci Véronique pour ce partage d’expérience et de ressenti.
Très bien dit… Marie
Mon expérience de plus de 30 ans a évolué… Donner son énergie positive et ses compétences au patient, c’est lui offrir la possibilité de devenir acteur de sa récupération en lui montrant le chemin de la guérison…
J’avais comme besoin de lire cet article aujourd’hui. En tant que physiothérapeute, la demande est forte tant dans le métier que dans l’entourage et nous pouvons nous sentir « obligé » de sauver tous les maux. Bonne réflexion à mettre en œuvre ! Merci
Bonjour, effectivement soigner comporte tellement de volets : médical, sanitaire, psychologique, social, éducatif… Il est parfois difficile de soigner sans se faire « déborder » mais il faut savoir travailler en réseau pluridisciplinaire, je crois que la toute puissance ne peut être concentrée en une seule et même entité, merci pour cet échange d’expériences, bonne journée à vous Marie et tous les abonnés.
Hans
Merci pour votre approche. Elle a l’intérêt de prendre du recul. Mon âme de Don Quichotte de la douleur et ma structuration du tout numérique m’avait valu, à Montréal dans une unité de soins palliatifs, une bonne claque : à la question que je posais à mon confrère « comment vous évaluez la douleur, avec quelle grille ? » la réponse a été : je m’assois près de la personne et j’écoute…
Être auprès de patients necessite une attention développée, une capacité à écouter et effectivement une dynamique relationnelle où chacun y puise de la ressource. Je le comprends mieux depuis que je pratique l’hypnose Ericksonienne. Je pense que la réflexion sur être bien dans la relation de soins est primordiale.
Bonne route dans cette journée, Marie !
Merci Marie pour cette réflexion sur notre pratique. Pour ma part ça fait longtemps que j’ai cessé de vouloir guérir les gens qui n’en avait pas vraiment envie. Mais j’ai encore parfois du mal à orienter le patient qui n’évolue pas vers un autre professionnel, lorsque son problème n’est pas uniquement physiologique et qu’il aurait besoin d’une aide psychologique par exemple.
Merci Christopher pour ce partage d’expérience !
Bravo pour ce courage exprimé de sortir de certaines injonctions extérieures. En effet à vouloir aider tout le monde, on est face à ceux « qui n’en ont pas vraiment envie », on en perd notre énergie et notre foi de soignant.
Et pour rebondir sur d’éventuelles remarques extérieures, je souligne que cette qualification de personnes « qui n’en ont pas vraiment envie » s’objective par une implication faible voire inexistante alors que possible, une tendance à la passivité et souvent à la victimisation, la plainte étant souvent un moyen (même inconscient) d’attirer à soi.
Alors j’entends aussi cette difficulté à référer vers des professionnels dans des domaines complémentaires pour aider ces patients qui n’ont pas que des troubles physiques, physiologiques, et où une composante par exemple psychologique viendrait complexifier le tableau clinique.
La difficulté peut se trouver par exemple dans le fait de terminer soi-même une prise en charge alors qu’il reste des symptômes, ou encore dans le fait de référer à un autre professionnel.
=> Arrêter une prise en charge quand il persiste des symptômes peut être délicat, parce que le patient peut interpréter qu’on le « laisse tomber ». Tout tient alors dans l’explication de la situation clinique et dans l’honnêteté de l’expression de nos limites actuelles. Oser être vulnérable face à l’autre, écouter et discuter des ressentis provoqués par une telle annonce, trouver ensemble des moyens raisonnables et raisonnés d’apaiser ces émotions respectives : un défi qui n’est pas insurmontable quand on a déjà créé une relation thérapeutique de confiance.
=> Référer à un autre professionnel est plutôt très simple (me semble-t-il) quand il s’agit de proposer les soins d’un collègue plus spécialisé dans ce type de symptômes physiques. Il me semble que la plus grosse difficulté tient dans le fait d’orienter le patient vers des soins relevant de la psychologie. Souvent le patient a déjà entendu « c’est dans votre tête » ou un équivalent, mais sans en avoir compris le sens, voire même en s’insurgeant contre une telle affirmation.
Personnellement, dès les premières séances, j’objective et je fais progressivement prendre conscience au patient des facteurs psycho-sociaux qui influencent les symptômes. Il m’est alors plus aisé d’orienter la décision du patient vers un accompagnement psychologique.
Marie